Lettre enthousiaste à alfred jarry
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Prost Rose
23, rue François Ier
Paris
Paris, 12 décembre 1896
Cher Monsieur,
Ayant assisté à la première d’Ubu Roi au Théâtre de l’œuvre, je me dois de vous féliciter pour cette audace, qui fut de laisser faire jouer une pièce si peu conforme à notre époque. Ayant vu l’effet que seul le premier mot produisit sur l’assemblée, et ce qui suivit, à savoir une interruption d’une vingtaine de minutes, je me dois de vous féliciter encore une fois, vous, M. Gémier ainsi que M. Lugné-Poë.
Il est vrai que dés le lever du rideau, nous fûmes tous interloqués : le décor était réduit à une toile peinte, les accessoires étaient en carton, un personnage promenait un écriteau décrivant les différents lieux, les acteurs portaient des masques modifiant leur voix et pour couronner le tout, le premier mot prononcé fut « merdre ». Pour ma part, j’ai lu votre œuvre, quelques jours après sa parution le 11 juin, et j’ai cru comprendre qu’initialement, ce premier mot s’adresse également au personnage de Mère Ubu, interprété par Mme Louise France. Suite au scandale que créa ce mot, peu de personnes présentes dans l’assemblée purent entendre les répliques suivantes tant le chahut était grand dans la salle.
En raison de ce chahut, la représentation due être interrompue, et je ne pus malheureusement observer plus longtemps le jeu des acteurs.
Hier matin, j’ai lu dans la presse de nombreuses critiques contre vous M. Jarry, et que vous ne vous attendiez pas à ce que la représentation aille à son terme. Mais également des critiques que sur le fait que les règles classiques du théâtre de notre époque ne soient pas respectées, comme les règles des trois unités : temps, lieux et actions. La pièce est donc bien loin des règles de bienséance et de vraisemblance. C’est en cela que l’on reconnaît les