kant les lumières
§2 La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes préfèrent rester mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère (naturaliter majores1) ; et ces mêmes causes font qu'il devient si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs2. Il est si commode d'être mineur! Avec un livre qui tient lieu d'entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge de mon régime à ma place, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me fatiguer moi-même. Je ne suis pas obligé de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien pour moi de cette ennuyeuse besogne. Les tuteurs, qui se sont très aimablement chargés d'exercer sur eux leur haute direction, ne manquent pas de faire que les hommes, et ce sont de loin les plus nombreux (sans omettre le beau sexe tout entier), tiennent pour très dangereux le pas vers la majorité, qui est déjà en lui-même pénible. Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles créatures d'oser faire le moindre pas hors du chariot où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. Or, le danger n'est sans doute pas si grand que cela, étant donné que quelques chutes finiraient bien par leur apprendre à marcher ; seulement, l’exemple d’un tel accident rend malgré tout