La colonie
Madame Sorbin, femme d'artisan.
Monsieur Sorbin, mari de Madame Sorbin
Timagène, homme noble.
Lina, fille de Madame Sorbin.
Persinet, jeune homme du peuple, amant de Lina.
Hermocrate.
Scène 1 : Arthénice, Madame Sorbin
Arthénice. - Ah çà! Madame Sorbin, ou plutôt ma compagne, car vous l'êtes, puisque les femmes de votre état viennent de vous revêtir du même pouvoir dont les femmes nobles m'ont revêtue moi-même, donnons-nous la main, unissons-nous et n'ayons qu'un même esprit toutes les deux.
Madame Sorbin - Conclusion, il n'y a plus qu'une femme et qu'une pensée ici.
Arthénice. - Nous voici chargées du plus grand intérêt que notre sexe ait jamais eu, et cela dans la conjoncture du monde la plus favorable pour discuter notre droit vis-à-vis les hommes.
Madame Sorbin. - Oh! pour cette fois-ci, Messieurs, nous compterons ensemble.
Arthénice. - Depuis qu'il a fallu nous sauver avec eux dans cette île où nous sommes fixées, le gouvernement de notre patrie a cessé.
Madame Sorbin. - Oui, il en faut un tout neuf ici, et l'heure est venue; nous voici en place d'avoir justice, et de sortir de l'humilité ridicule qu'on nous a imposée depuis le commencement du monde: plutôt mourir que d'endurer plus longtemps nos affronts.
Arthénice. - Fort bien, vous sentez-vous en effet un courage qui réponde à la dignité de votre emploi?
Madame Sorbin. - Tenez, je me soucie aujourd'hui de la vie comme d'un fétu; en un mot comme en cent, je me sacrifie, je l'entreprends. Madame Sorbin veut vivre dans l'histoire et non pas dans le monde.
Arthénice. - Je vous garantis un nom immortel.
Madame Sorbin. - Nous, dans vingt mille ans, nous serons encore la nouvelle du jour.
Arthénice. - Et quand même nous ne réussirions pas, nos petites-filles réussiront.
Madame Sorbin. - Je vous dis que les hommes n'en reviendront jamais. Au surplus, vous qui m'exhortez, il y a ici un certain Monsieur Timagène qui court après votre coeur; court-il encore? Ne l'a-t-il pas