La décomposition descriptive dans la jalousie de robbe-grillet
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|Sur le mur d'en face, le mille-pattes est là, à son emplacement marqué, au beau milieu du panneau. |
|Il s'est arrêté, petit trait obliqué long de dix centimètres, juste à la hauteur du regard, à mi-chemin entre l'arête de la |
|plinthe (au seuil du couloir) et le coin du plafond. La bête est immobile. Seules ses antennes se couchent l'une après l'autre|
|et se relèvent, dans un mouvement alterné, lent mais continu. |
|A son extrémité postérieure, le développement considérable des pattes — de la dernière paire, surtout, qui dépasse en longueur|
|les antennes — fait reconnaître sans ambiguïté la scutigère, dite « millepattes-araignée », ou encore « millepattes-minute » à|
|cause d'une croyance indigène concernant la rapidité d'action de sa piqûre, prétendue mortelle. Cette espèce est en réalité |
|peu venimeuse ; elle l'est beaucoup moins, en tout cas, que de nombreuses scolopendres fréquentes dans la région. |
|Soudain la partie antérieure du corps se met en marche, exécutant une rotation sur place, qui incurve le trait sombre vers le |
|bas du mur. Et aussitôt, sans avoir le temps d'aller plus loin, la bestiole choit sur le carrelage, se tordant encore à demi |
|et crispant par degrés ses longues pattes, tandis que les mâchoires s'ouvrent et se ferment à toute vitesse autour de la |
|bouche, à vide, dans un tremblement réflexe. |
|Dix secondes plus tard, tout cela n'est plus qu'une bouillie rousse, où se mêlent des débris d'articles, méconnaissables. |
|Mais sur le mur nu, au contraire, l'image de la scutigère écrasée se distingue parfaitement, inachevée