La genèse d'un poème
« Un de ses axiomes favoris était encore celui-ci : « Tout, dans un poème comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénouement. Un bon auteur a déjà sa dernière ligne en vue quand il écrit la première. » Grâce à cette admirable méthode, le compo¬siteur peut commencer son oeuvre par la fin, et travailler quand il lui plaît, à n’importe quelle partie. Les amateurs du délire seront peut être révoltés par ces cyniques maxi¬mes ; mais chacun en peut prendre ce qu’il voudra. Il sera toujours utile de leur montrer quels bénéfices l’art peut tirer de la délibération, et de faire voir aux gens du monde quel labeur exige cet objet de luxe qu’on nomme Poésie. »
(Baudelaire : préambule à sa traduction du texte de Poe.)
Le mécanisme de la fabrication poétique tel qu’il est exposé par Poe apparaît bien comme le reflet porté par l’il¬lusion normative sur le travail de l’écrivain : ramassée tout entière en son point final, l’œuvre dans son ensemble n’est par rapport à ce terme qu’une préparation et une approxima¬tion. A la fois organisée et réduite : disant l’essentiel par l’accumulation des apparences. Le juge implacable est devenu un coupable « cynique » comme le dit très bien Baudelaire ; et il plaide la préméditation : « Dans la composition tout entière, il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende directement ou indirectement, à par¬faire le dessein prémédité. » (Baudelaire : Sur E. Poe, op. cité. p. 1069). Le poète exhibe les moyens de son travail, et ré¬vèle leur nature intermédiaire en les subordonnants à une fin, qui est aussi l’aboutissement réel du récit. Ainsi engendrée à partir d’un secret de fabrication, l’œuvre n’est pas du tout telle qu’elle se montre : trompeuse, elle se présente à l’envers de son sens véritable. Par cet aveu, l’auteur nous ramène à cette réalité initiale qui est la vérité de toutes ses manifes¬tations ultérieures. Entendre cette vérité, c’est, au