La liberté guidant le peuple
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Les Vivants et les morts et Notre Part des ténèbres, à la lecture, donnent l'impression d'un diptyque. S'agit-il d'un projet d'ensemble ? Comment as-tu travaillé ?
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G. Mordillat : Une de mes intentions est, au fond, de rendre un récit, une perspective historique, à ceux qui en sont aujourd'hui totalement privés. Par excellence, ceux dont les emplois sont supprimés. Puisque c'est non seulement la perte financière, mais aussi la perte de savoir, la perte de relations, la perte d'histoire. Bref des vies sont totalement niées ; elles sont poussées en dehors de l'histoire. Clairement, le message est : « non seulement vous comptez pour rien, mais vous n'avez jamais compté pour quelque chose ». Donc, écrire des romans comme je les écris consiste à redonner ce récit. Car, pour moi, toutes les révoltes, toutes les insurrections, toutes les révolutions ont besoin de mots. Elles ont besoin de cette histoire. Il y a donc bien, de ma part, un projet général d'écriture. Sur un plan littéraire, Les vivants et les morts, Notre part des ténèbres et Rouge dans la brume s'inscrivent dans un projet : redire cette histoire, la resituer, lui redonner une perspective, une réalité. Et rendre à chacun une identité, des sentiments, une sexualité, des pensées, des doutes, des exaltations...
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À un moment, j'ai pensé que le roman était devenu un genre impraticable. J'ai écrit un roman qui s'appelait Béthanie qui, intimement, marquait mes adieux au roman. Je pensais que ce n'était plus possible, que cela n'avait aucun sens ni aucun écho. Je voyais la production romanesque française où, grosso modo, la problématique petite-bourgeoise et bourgeoise domine de façon