La parure
Dix ans, mon bon monsieur, dix ans d'abnégation et de martyre! La grande route parisienne a parfois de singuliers tournants. Ces pauvres Loisel étaient montés au sommet du bonheur, et puis crac! la dégringolade, comme dans ces montagnes russes foraines où la glissade vertigineuse vous chavire les prunelles et vous met une angoisse au creux de l'estomac.
Pourtant, au bout de dix ans, voilà qu'ils ont tout payé, tout remboursé. Ah! cela n'avait pas été commode! Et Madame Loisel a eu plus d'une fois des idées noires. Mais bah! quand il en vient papillonner autour de vous, on n'a qu'à se secouer, on va faire un tour, et le soleil vous a bien vite déplissé le front, comme il déplisse les jeunes feuilles des marronniers.
Justement ce jour-là - oh! l'exquis après-midi de printemps parisien, avec sa tendresse dans l'air, sa lumière blonde, ses vols de pierrots et, le long des Champs-Elysées, sa file d'équipages fringants dont les harnais étincellent ! - ce jour-là, Mme Loisel est assise auprès de son mari sur une petite chaise de fer. Pour ses deux sous, elle aura trois heures de spectacle, et ce bonheur qui passe lui mettra dans l'âme un peu de griserie.
Mais la voilà dressée, toute pâle. Jeanne Forestier ! ce n'est pas possible !... Et pourtant oui, c'est bien elle.
« Bonjour... Vous ne me reconnaissez donc pas ? »
Non, Mme Forestier ne la reconnaît pas. A travers son face-à-main d'écaille, elle regarde avec étonnement cette étrangère.
« Mathilde... Je suis Mathilde... Mathilde Loisel. »
Elle n'a pas l'air enchantée de la rencontre, Mme Forestier ; pourtant, elle fait bon visage.
« Mathilde! Comme tu es changée! Qu'est-ce que tu es donc devenue depuis si longtemps ? »
Ce qu'elle est devenue ? Ah! ce n'est pas bien gai! Et la voilà qui commence à raconter sa vie médiocre et nécessiteuse. Dire que tout ça, c'est à propos de ce bal!
Mme Forestier ne comprend pas. De quel bal veut-elle donc