La possibilité du choix social (amartya sen)
La possibilité du choix social
Conférence Nobel
Amartya Sen*
Cet article est la version écrite de la conférence prononcée par Amartya Sen à Stockholm en Suède, le 8 décembre 1998, quand il reçut le prix Nobel en sciences économiques. Copyright © The Nobel Foundation 1998
On a dit qu’un « chameau » était « un cheval conçu par un comité ». Cela pourrait ressembler à une image pertinente des énormes faiblesses des décisions prises par des comités, mais cette accusation est en fait beaucoup trop faible. Il se peut qu’un chameau n’ait pas la vitesse d’un cheval, mais c’est un animal harmonieux et très utile, bien conçu pour parcourir de longues distances sans eau ni nourriture. Un comité qui, en dessinant un cheval, essaierait de tenir compte de tous les souhaits de ses différents membres finirait aisément par concevoir quelque chose de beaucoup moins convenable : peut-être un centaure de la mythologie grecque, moitié cheval et moitié autre chose — une création ingénieuse alliant la brutalité à la confusion. La difficulté ressentie par un petit comité ne peut être que plus grande quand il est question des décisions d’une société importante, décisions qui reflètent les choix « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ceci est, dans une acception générale, le sujet de la théorie du « choix social », et il inclut, à l’intérieur de son vaste champ, des problèmes divers ayant la caractéristique commune de mettre en relation des jugements sociaux et des décisions collectives avec les opinions et les intérêts des individus qui composent la société ou le groupe. S’il est une question centrale qui peut être envisagée comme la problématique principale motivant la théorie du choix social, c’est la suivante : comment est-il possible de parvenir à des jugements agrégés et incontestables au niveau de la société (par exemple au sujet du « bien-être social » ou de « l’intérêt public » ou « du taux de pauvreté »), étant
* The Master’s