La poésie est-elle seulement l'expression des sentiments personnels ?
La poésie est-elle seulement l’expression des sentiments personnels ?
« Poète, prends ton luth et me donne un baiser » dit la Muse au Poète dans la Nuit de Mai de Musset. Dans ce long poème qui est aussi une réflexion sur l’inspiration, le dialogue avec la Muse montre à quel point la poésie est inséparable de l’expression des sentiments. L’Histoire donne raison à ce rapport étroit : le luth évoqué ici rappelle la lyre qui était l’instrument des poètes de l’Antiquité, et cet instrument a donné naissance à la notion de lyrisme. Pour autant, la poésie est-elle seulement l’expression des sentiments personnels ? N’y a-t-il pas un risque à la réduire à une sorte de confidence, ou à un soliloque narcissique ? Assurément la tâche qui a été confiée à un art presque sacré doit aussi dépasser l’individu. Si la poésie a une parenté avec la formule magique, avec ce que les Anciens appelaient le « carmen », le chant charmant, au sens fort, on peut à bon droit penser qu’elle véhicule aussi d’autres expressions que celle de l’individualité et de son histoire anecdotique. Nous montrerons d’abord que la poésie est l’instrument privilégié du lyrisme, avant de rechercher d’autres fonctions attribuées à la poésie que celle de l’expression des sentiments personnels. Nous verrons enfin que la poésie, qui est le genre littéraire où se concentrent toutes les potentialités du langage, est surtout le lieu de l’invention verbale par excellence.
La poésie fait son apparition dans la Grèce antique. En effet, toute expression littéraire était qualifiée de poétique, qu’il s’agisse de l’art oratoire, du chant, ou du théâtre : tout « fabricant de texte » est un poète comme l’exprime l’étymologie du mot « poésie » venant du grec et qui signifie « faire, créer ». Qui plus est, ces derniers étaient composés de rimes afin d’aider à la mémorisation ainsi qu’à la transmission orale.
Assurément, le poète Orphée, emblématique, est accompagné de sa lyre, instrument de musique