La route du chemin
Texte 1
François RABELAIS, Pantagruel (1532), chapitre 3.
(orthographe modernisée)
DU DEUIL QUE MENA GARGANTUA A LA MORT DE SA FEMME BADEBEC
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplexe? Ce fut Gargantua son père. Car, voyant d'un côté sa femme Badebec morte, et de l'autre son fils Pantagruel né, tant beau et tant grand, ne savait que dire ni que faire, et le doute qui troublait son entendement était à savoir s'il devait pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joie de son fils. D'un côté et d'autre, il avait arguments sophistiques qui le suffoquaient car il les faisait très bien in modo et figura, mais il ne les pouvait souldre, et par ce moyen, demeurait empêtré comme la souris empeigée, ou un milan pris au lacet. « Pleurerai-je ? disait-il. Oui, car pourquoi ? Ma tant bonne femme est morte, qui était la plus ceci, la plus cela qui fût au monde. Jamais je ne la verrai, jamais je n'en recouvrerai une telle : ce m'est une perte inestimable. O mon Dieu que t'avais-je fait pour ainsi me punir ? Que n'envoyas-tu la mort à moi premier qu'à elle ? car vivre sans elle ne m'est que languir. Ha ! Badebec, ma mignonne, m'amie — mon petit con (toutefois elle en avait bien trois arpents et deux sexterées), ma tendrette, ma braguette, ma savate,