le cancre prévert
Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le coeur il dit oui à ce qu'il aime il dit non au professeur il est debout on le questionne et tous les problèmes sont posés soudain le fou rire le prend et il efface tout les chiffres et les mots les dates et les noms les phrases et les pièges et malgré les menaces du maître sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs sur le tableau noir du malheur il dessine le visage du bonheur.
Commentaire
Du « cancre », le dictionnaire indique que c’est un élève paresseux et nul. Celui de Prévert est plutôt un être libre, qui, étant partagé, comme chacun de nous, entre « la tête » et « le coeur », choisit ce dernier, choisit la sensibilité contre l’intellectualité, ce qu’on peut sentir dans la vie contre ce qu’on peut apprendre à l’école.
Il est aussi la victime de la société, représentée par le professeur, qui détient le pouvoir (ses « menaces »), et par « les enfants prodiges », qui, en fait, sont simplement des conformistes. Il est la victime désignée qui doit se tenir seule face aux autres, qui est suppliciée par des questions qui sont autant de « pièges » (n’a-t-on pas connu le supplice de la question?), à qui « tous les problèmes sont posés », par une généralisation qui est une critique d’un système d’éducation qui veut tout embrasser (on songe à l’élève dans ‘’La leçon’’ d’Ionesco qui veut passer « le baccalauréat total », qui est tourmentée par le professeur et finalement assassinée), qui invente même les problèmes (Prévert dénonça ailleurs : « Il n'y a pas de problème, il n'y a que des professeurs»), dont « le tableau noir » (cela pour des raisons pratiques) est investi de la noirceur morale « du malheur ».
Mais cette victime se révolte, et par le moyen qui a toujours été le recours des faibles : le rire qui est, selon la belle formule d’Alain « une