Le charlatan
Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron, (2) Et l'autre affiche par la ville Qu'il est un passe-Cicéron. (3) Un des derniers se vantait d'être En éloquence si grand maître, Qu'il rendrait disert un Badaud, Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ;
Oui, Messieurs, un Lourdaud, un Animal, un Âne :
Que l'on amène un Âne, un Âne renforcé, Je le rendrai maître passé, Et veux qu'il porte la soutane.
Le Prince sut la chose, il manda le Rhéteur. J'ai, dit-il, dans mon écurie Un fort beau Roussin d'Arcadie : (4) J'en voudrais faire un Orateur.
Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme. On lui donna certaine somme. Il devait au bout de dix ans Mettre son Âne sur les bancs ;
Sinon il consentait d'être en place publique
Guindé (5) la hart (6) au col, étranglé court et net, Ayant au dos sa Rhétorique, Et les oreilles d'un Baudet.
Quelqu'un des Courtisans lui dit qu'à la potence
Il voulait l'aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance :
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fût au long étendu . (7)
Un discours pathétique, et dont le formulaire Servît à certains Cicérons Vulgairement nommés larrons. L'autre (8) reprit : Avant l'affaire, Le Roi, l'Âne, ou moi, nous mourrons.
Il avait raison. C'est folie De compter sur dix ans de vie. Soyons bien buvants, bien mangeants ,
Nous devons à la mort de trois l'un (9) en dix