Le malentendu
"Le Malentendu a été écrit en 1941, en France occupée. Je vivais alors, à mon corps défendant, au milieu des montagnes du centre de la France. Cette situation historique et géographique suffirait à expliquer la sorte de claustrophobie dont je souffrais alors et qui se reflète dans cette pièce. On y respire mal, c'est un fait. Mais nous avions tous la respiration courte en ce temps-là. Il n'empêche que la noirceur de la pièce me gène autant qu'elle a géné le public. Pour l'encourager à aborder la pièce, je proposerai au lecteur : 1°) d'admettre que la moralité de la pièce n'est pas entièrement négative; 2°) de considérer le Malentendu comme une tentative pour créer une tragédie moderne.
Un fils qui veut se faire reconnaître sans avoir à dire son nom et qui est tué par sa mère et sa soeur, à la suite d'un malentendu, tel est le sujet de cette pièce. Sans doute, c'est une vue très pessimiste de la condition humaine. Mais cela peut se concilier avec un optimisme relatif en ce qui concerne l'homme. Car enfin, cela revient à dire que tout aurait été autrement si le fils avait dit : C'est moi, voici mon nom. Cela revient à dire que dans un monde injuste ou indifférent, l'homme peut se sauver lui-même, et sauver les autres, par l'usage de la sincérité la plus simple et du mot le plus juste.
Le langage a aussi choqué. Je le savais. Mais si j'avais habillé de peplums mes personnages, tout le monde peut-être aurait applaudi. Faire parler le langage de la tragédie à des personnages contemporains, c'était au contraire mon propos. Rien de plus difficile à vrai dire puisqu'il faut trouver un langage assez naturel pour être parlé par des contemporains, et assez insolite pour rejoindre le ton tragique. Pour approcher de cet idéal, j'ai essayé d'introduire de l'éloignement dans les caractères et de l'ambiguïté dans les dialogues. Le spectateur devait ainsi éprouver un sentiment de familiarité en même temps