Le misanthrope
Le Misanthrope est-il une comédie classique ? Dans les histoires du Petit Nicolas, de Sempé et Goscinny, le meilleur ami du personnage éponyme s’appelle Alceste : c’est un petit gros qui mange tout le temps, sans doute pour compenser sa mélancolie, et il faut voir, dans cette œuvre du XX° siècle, une influence déterminante du personnage d’Alceste, celui que Molière met en scène dans Le Misanthrope (1666). Le Petit Nicolas, comédie enfantine douce-amère du temps joyeux des jolies colonies de vacances… Mais Le Misanthrope ? Comédie, vraiment ? Si Alceste, chez Goscinny, manque plusieurs fois s’étouffer avec son pain au chocolat ou ses sardines à l’huile, c’est plutôt l’indignation et le désespoir qui étouffent le héros de Molière. Et un héros qui s’étouffe n’est pas tout à fait un homme heureux, surtout qu’Alceste a du mal à faire la place pour deux. En somme, si l’on connaît la chanson pour nombre des autres comédies de Molière, Le Misanthrope pose le problème de son genre. Peut-on donc dire que Le Misanthrope est une comédie classique ? I. Une tragédie ? A. Célimène, ou la triste déchéance d’une menteuse : Célimène est belle, Célimène joue avec les sentiments des hommes ; cette jeune veuve à la langue bien pendue (Molière ne s’avance pas davantage) n’est pourtant pas antipathique : lorsqu’Alceste lui propose une traversée du désert, pour marcher, sous un soleil de plomb, des jours entiers, l’on s’écrirait bien avec elle : « Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, / Et dans votre désert aller m’ensevelir ! » (V,4, v.1769-1770). Comment donc rire de sa déchéance finale, lorsque les petits marquis et la prude Arisoné (cette hypocrite jalouse, cette fausse dévote) se promettent de la perdre de réputation (V,4), exactement comme la marquise de Merteuil le sera, elle aussi, par la publication de ses lettres à la fin des Liaisons dangereuses ? Impossible. On a tous quelque chose en