Le preromantisme
Jusqu'en 1803, Mme de Staël avait vu défiler l'Europe dans les salons parisiens. Certes elle avait traversé la France, l'Allemagne ou la Suisse, séjourné dans le Pays de Vaud et quelques mois en Angleterre ; mais la découverte n'était pas alors son but. Bonaparte, en changeant brutalement ses habitudes de vie, la conduisit à enrichir ses connaissances et sa pensée. Paradoxalement, sans lui, ni Corinne ni De l’Allemagne n'auraient existé. Cet exil interminable devait produire ces deux chefs-d'œuvre et, plus tard, un autre livre bien différent, resté inachevé, les Dix années d'exil, où elle voulait faire découvrir la Russie et — si elle avait pu l'achever — les royaumes du nord de l'Europe.
En effet, en octobre 1803, l'orgueil blessé de Mme de Staël chassée de France sans recours possible, puisqu'on la tient pour étrangère, lui fit choisir un voyage en Allemagne. Elle avait plusieurs buts ; l'un était de faire reconnaître en France et par le Premier consul qu'elle n'était pas n'importe qui. Sa situation mondaine, la célébrité de son père et la sienne propre lui assuraient l'accueil des cours princières, pour certaines prestigieuses. Son autre but, intellectuel, était né avec sa découverte progressive de la pensée allemande fort peu connue en France, à laquelle l'initiait déjà Guillaume de Humboldt. Celui-ci comprit très tôt qu'elle seule pourrait introduire et populariser des chefs-d'œuvre inconnus dans une France plutôt stérile sur le plan de la littérature et de la philosophie. Elle partit sceptique, elle revint émerveillée, ayant tout découvert à Weimar, un des carrefours allemands de la pensée, Athènes d'un nouveau genre, République des Lettres retrouvée, dont le souverain favorisait les génies littéraires. Le réseau européen de Mme de Staël allait s'enrichir considérablement.
Dès son départ, elle avait pensé écrire des « Lettres sur l'Allemagne », projet modeste qui grandira au fur et à mesure de son apprentissage. Au sens aigu