Il est celui qui donne à Meursault l’occasion d’une prise de conscience - ou d’un exposé, longtemps différé et enfin révélé, de ses pensées sur la vie – et scelle le sentiment de son étrangeté radicale au monde. Meursault refuse, en effet, de voir ce que le prêtre lui demande de voir au-delà de la simple réalité sensible, c’est-à-dire « un visage divin. « C’est ce visage qu’on vous demande de voir », insiste l’homme de dieu. (p.173) D’autre part, symboliquement, Meursault refuse que ce dernier l’ « embrasse » : Meursault n’est pas de cette sorte d’homme qui s’aveugle et se réfugie dans des croyances trompeuses destinées à donner un sens à « cette vie absurde », se jouant ainsi la comédie. Ainsi qu’il le confie, le seul visage qu’il ait vu sur les murs de la prison « avait la couleur du soleil et la flamme du désir : c’était celui de Marie. » (p.174) Surtout, lucide, il clame sa foi dans la seule certitude qu’il ait : la vie est d’autant plus précieuse qu’elle doit s’achever un jour : « J’étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n’avais que cela. Mais, du moins, je tenais cette vérité autant qu’elle me tenait. J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison. (…) C’était comme si j’avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n’avait d’importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait pourquoi. (…) Tout le monde était privilégié Il n’y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu’importait si, accusé de meurtre, il était exécuté pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère ? (…) »