Le statut du plaisir dans la pensée antique
Marion Duvauchel
Professeur certifiée en lettres, docteure en philosophie
Introduction
Un préjugé largement répandu veut que la disqualification du plaisir soit un héritage de la pensée chrétienne. Cette disqualification est souvent largement attribuée à saint Augustin et il est vrai qu’il a légué à la pensée philosophique chrétienne une notion difficile : « la chair », chair vouée aux plaisirs, et donc disqualifiée. En réalité, la disqualification du plaisir est bien antérieure à la pensée morale chrétienne : elle est, d’une manière générale, un héritage grec et très précisément un legs platonicien. Car c’est Platon qui attache le grelot et pose la question du plaisir dans la perspective de philosophie morale qui est encore la sienne. Il pose bien sûr la question redoutable des plaisirs du corps – sur lesquels le monde chrétien insistera tant –, mais il pose surtout le lien entre le plaisir, la beauté et l’amour, et donc entre l’esthétique et la morale. Augustin tient Platon en très haute estime, il le considère comme la « gloire de la pensée païenne ». Il assume ce qui lui semble vrai, et il va montrer toutes les conséquences politiques d’un désordre foncier dans l’âme humaine, désordre dans lequel le plaisir joue un rôle essentiel. Quant à saint Thomas, sa métaphysique est aristotélicienne et c’est dans les catégories d’Aristote qu’il va poser la question du plaisir, établir des distinctions un peu drastiques, et théoriser le lien entre plaisir et beauté, avec le durcissement du rationalisme propre au thomisme. Ce que je voudrais souligner dans le présent travail, à travers ces trois perspectives successives, leurs points de convergence et de divergence, c’est que la question du plaisir ne se décline pas exclusivement dans et selon une perspective morale. Platon l’inscrit d’emblée dans une approche métaphysique, qui implique une psychologie, une