Le sumo qui ne pouvait pas grossir
Éric-Emmanuel Schmitt
Le sumo qui ne pouvait pas grossir
Albin Michel
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© Éditions Albin Michel, 2009 9782226199737 4
Alors que j’étais maigre, long, plat, Shomintsu s’exclamait en passant devant moi : ŕ Je vois un gros en toi.
Exaspérant ! De face, j’avais l’air d’une peau de hareng séchée sur du bois d’allumette ; de profil… on ne pouvait pas me voir de profil, je n’avais été conçu qu’en deux dimensions, …afficher plus de contenu…
ŕ Ah, tu es venu ! 18
Il irradiait tant de plaisir que ça faillit m’atteindre, par contagion, j’eus presque envie de sourire. Heureusement, il s’écria : ŕ Je me doutais que tu débarquerais. Je me doutais que la curiosité l’emporterait. ŕ Curiosité ? Tu déconnes, la tortue. Je suis venu par pitié.
Je veux me dépêtrer d’un vieux pathétique qui voit un gros en moi et qui, deux fois déjà, s’est cassé le dos pour déposer un ticket à mes pieds.
Vous ne pouvez pas imaginer combien, au plus profond de moi, cela me plaisait de charrier Shomintsu, de l’agacer. J’en étais si content que, pour un peu, au lieu de l’insulter, je l’aurais embrassé. Ma phrase aurait dû l’abattre : d’ordinaire, la compassion, ça tue un Japonais car il n’existe pas plus …afficher plus de contenu…
Après neuf mois d’efforts, je dressai un bilan : si j’avais bien la taille nécessaire pour devenir sumo Ŕ il faut franchir le mètre soixante-quinze Ŕ, j’étais loin de rejoindre le poids minimum, soixante-quinze kilos. Il m'en manquait vingt.
Lorsque je considérais l’hercule Ashoryu, je ne pouvais m’empêcher de saliver. Qu’est-ce que je donnerais pour atteindre cent cinquante kilos, comme lui ! Les énormes, les molosses, les titans, ceux qui excédaient les deux cent vingt kilos, je ne les enviais pas, j’estimais qu’ils appartenaient à une autre espèce, tels des monstres préhistoriques égarés dans notre époque, dinosaures ou diplodocus humains qui nous