Les caractères
Chrysippe, homme nouveau, et le premier noble de sa race, aspirait, il y a trente années, à se voir un jour deux mille livres de rente pour tout bien : c’était là le comble de ses souhaits et sa plus haute ambition ; il l’a dit ainsi, et on s’en souvient. Il arrive, je ne sais par quels chemins, jusques à donner en revenu à l’une de ses filles, pour sa dot, ce qu’il désirait lui-même d’avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie.
28 Une pareille somme est comptée dans ses coffres pour chacun de ses autres enfants qu’il doit pourvoir, et il a un grand nombre d’enfants ; ce n’est qu’en avancement d’hoirie : il y a d’autres biens à espérer après sa mort. Il vit encore, quoique assez avancé en âge, et il use le reste de ses jours à travailler pour s’enrichir.
Laissez faire Ergaste, et il exigera un droit de tous ceux qui boivent de l’eau de la rivière, ou qui marchent sur la terre ferme : il sait convertir en or jusques aux roseaux, aux joncs et à l’ortie. Il écoute tous les avis, et propose tous ceux qu’il a écoutés. Le prince ne donne aux autres qu’aux dépens d’Ergaste, et ne leur fait de grâces que celles qui lui étaient dues. C’est une faim insatiable d’avoir et de posséder. Il trafiquerait des arts et des sciences, et mettrait en parti jusques à l’harmonie : il faudrait, s’il en était cru, que le peuple, pour avoir le plaisir de le voir riche, de lui voir une meute et une écurie, pût perdre le souvenir de la musique d’Orphée, et se contenter de la sienne.
50 (IV)
Les passions tyrannisent l’homme ; et l’ambition suspend en lui les autres passions, et lui donne pour un temps les apparences de toutes les vertus. Ce Tryphon qui a tous les vices, je l’ai cru sobre, chaste, libéral, humble et même dévot : je le croirais encore, s’il n’eût enfin fait sa fortune.
5I (IV)
L’on ne se rend point sur le désir de posséder et de s’agrandir : la bile gagne, et la mort approche, qu’avec un visage flétri, et des jambes