Les identités meurtrières
De fait, nous sommes tous infiniment plus proches de nos contemporains que de nos ancêtres . Serais-je en train d’exagérer si je disais que j’ai bien plus de choses en commun avec un passant choisi au hasard dans une rue de Prague, de Séoul, ou de San Francisco, qu’avec mon propre arrière-grand-père ? Non seulement dans l’aspect, dans le vêtement, dans la démarche, non seulement dans le mode de vie, le travail, l’habitat, les instruments qui nous entourent, mais aussi dans les conceptions morales, dans les habitudes de pensée…
En somme, chacun d’entre nous est dépositaire de deux héritages : l’un, « vertical, lui vient de ses ancêtres, des traditions de son peuple, de sa communauté religieuse ; l’autre, « horizontal », lui vient de son époque, de ses contemporains. C’est ce dernier qui est, me semble-t-il, le plus déterminant, et il le devient un peu plus encore chaque jour ; pourtant, cette réalité ne se reflète pas dans notre perception de nous-mêmes . Ce n’est pas de l’héritage « horizontal » que nous nous réclamons, mais de l’autre …
A vrai dire, si nous affirmons avec tant de rage nos différences, c’est justement parce que nous sommes de moins en moins différents. Parce qu’en dépit de nos conflits, de nos inimitiés séculaires, chaque jour qui passe réduit un peu plus nos différences et augmente un peu plus nos similitudes.
J’ai l’air de m’en réjouir. Faut-il vraiment se réjouir de voir les hommes de plus en plus semblables ? Ne serions-nous pas en train d’aller vers un monde grisâtre où l’on ne parlerait bientôt plus qu’une seule langue, où tous partageraient le même faisceau de croyances minimales, où tous regarderaient à la télévision les mêmes séries américaines en mâchonnant les mêmes