Les regles de la methode sociologique
Cette notion de l’espèce sociale a, d’ailleurs, le très grand avantage de nous fournir un moyen terme entre les deux conceptions contraires de la vie collective qui se sont, pendant longtemps, partagé les esprits ; je veux dire le nominalisme des historiens[1] et le réalisme extrême des philosophes. Pour l’historien, les sociétés constituent autant d’individualités hétérogènes, incomparables entre elles. Chaque peuple a sa physionomie, sa constitution spéciale, son droit, sa morale, son organisation économique qui ne conviennent qu’à lui, et toute généralisation est à peu près impossible. Pour le philosophe, au contraire, tous ces groupements particuliers, que l’on appelle les tribus, les cités, les nations, ne sont que des combinaisons contingentes et provisoires sans réalité propre. Il n’y a de réel que l’humanité et c’est des attributs généraux de la nature humaine que découle toute l’évolution sociale. Pour les premiers, par conséquent, l’histoire n’est qu’une suite d’événements qui s’enchaînent sans se reproduire ; pour les seconds, ces mêmes événements n’ont de valeur et d’intérêt que comme illustration des lois générales qui sont inscrites dans la constitution de l’homme et qui dominent tout le développement historique. Pour ceux-la, ce qui est bon pour une société ne saurait s’appliquer aux autres. Les