Les liaisons dangereuses
En effet, la situation où je suis en vous écrivant me fait connaître, plus que jamais, la puissance irrésistible de l’amour ; j’ai peine à conserver assez d’empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées ; & déjà je prévois que je ne finirai pas cette lettre, sans être obligé de l’interrompre.Quoi ! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j’éprouve en ce moment ? J’ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n’y seriez pas entièrement …afficher plus de contenu…
La funeste vérité m’éclaire, & ne me laisse voir qu’une mort assurée & prochaine, dont la route m’est tracée entre la honte & le remords. Je la suivrai..., je chérirai mes tourments s’ils abrègent mon existence. Je vous envoie la lettre que j’ai reçue hier ; je n’y joindrai aucune réflexion, elle les porte avec elle. Ce n’est plus le temps de se plaindre, il n’y a plus qu’à souffrir. Ce n’est pas de pitié dont j’ai besoin, c’est de force.Recevez, Madame, le seul adieu que je ferai, & exaucez ma dernière prière ; c’est de me laisser à mon sort, de m’oublier entièrement, de ne plus me compter sur la terre. Il est un terme dans le malheur, où l’amitié même augmente nos souffrances & ne peut les guérir. Quand les blessures sont mortelles, tout secours devient inhumain. Tout autre sentiment m’est étranger, que celui du désespoir.