lettre aux paysans
Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix.
Collection Vivre Libre (I)
Edition Bernard Grasset (2 décembre 1938)
6 juillet 1938.
OH! je vous entends! En recevant cette lettre, vous allez regarder l'écriture et, quand vous reconnaîtrez la mienne vous allez dire : « Qu'est-ce qui lui prend de nous écrire? Il sait pourtant où nous trouver. Voilà l'époque de la moisson, nous ne pouvons être qu'à deux endroits : ou aux champs ou à l'aire.
Il n'avait qu'à venir. A moins qu'il soit malade – ouvre donc – à moins qu'il soit fâché? Ou bien, est-ce qu'on lui aurait fait quelque chose?
Le problème paysan est universel.
Qu'est-ce que vous voulez m'avoir fait? Vous savez bien que nous ne pouvons pas nous fâcher, nous autres. Non, si je vous écris, c'est que c'est raisonnable. J'ai à vous dire des choses très importantes, alors j'aime mieux que ce soit écrit, n'est-ce pas? Vous voyez que je me souviens de vos leçons!
Non, en vérité, s'il y a un peu de ça, il y a surtout beaucoup d'autres choses; souvent nous nous sommes dit, vous et moi, après certaines de nos parlotes :
« eh! bien voilà, mais c'est aux autres qu'il faudrait dire tout ce que nous venons de dire. » Certes oui. Nous sommes sur le devant d'une ferme, dans le département des Basses-Alpes, nous sommes là une vingtaine, et ce que nous avons dit là, entre tous, ça ne nous a pas paru tellement bête. Nous ne nous sommes peut-être pas servis d'une intelligence très renseignée, mais, précisément, sans embarras d'aucune sorte, nous avons tout simplement parlé avec bon sens. Chaque fois, dites si ce n'est pas vrai, pendant le quart d'heure d'après, ça a été rudement bon de fumer la pipe. Mais tout de suite après on a
pensé aux autres – demain soir je serai peut-être avec ceux de Pigette ou avec ceux de la Commanderie, mais la question n'est pas là, on ne parlera pas exactement des mêmes choses, pendant que vous ici vous aurez déjà réfléchi différentement – et dès qu'on pense aux autres tout se