lettre de poilus
2 novembre 1914
Je ne sais pas l'heure, je ne siaas plus l'heure, je n'ai plus la notion du temps autrement que par le soleil et l'obscurité. Il fait grand jour et beau jour, le ciel d'automne est lumineux, s'il n'est plus bleu. Je l'aperçois par-dessus le remblai de terre et de cailloux de la tranchée, et mon sac me sert de fauteuil, mes genoux touchent la paroi pierreuse : il y a juste la place de s'asseoir et la tête arrive au niveau du sol. Près de moi j'ai mon fusil, dont le quillon se transforme en porte-manteau pour accrocher la musette et le bidon. Dans le bidon il reste un peu de bière, dans la musette il y a du pain, une tablette de chocolat, mon couteau, on quart et ma serviette. A ma gauche, le dos énorme d'un camarade qui fume en silence me cache l'extrélité de la tranchée ; à droite un autre, couché à moitié, roupille dans son couvre-pieds. Le bruit affaibli des conversations, le cri d'un corbeau, le son d'un obus qui file par instants vers les lignes françaises troublent seuls le silence. Nous sonnes sales comme des cochons, c'est-à-dire blancs comme des meuniers, car cette terre est comme de la farine : tout est blanc, la peau, le visage; les ongles; la capote, les cartouchières,