Le choix d’une technique narrative n’est jamais innocent. Etant justement choix de l’auteur, la technique narrative détermine tout d’abord l’angle sous lequel celui-ci nous présente délibérément l’« univers » ou l’« espace » du roman. D’autre part, cependant, elle signifie toujours au-dela des seules « intentions » esthétiques ou morales de l’auteur et résonne avec l’univers, « historique » cette fois, qui englobe à la fois auteur et œuvre. Dans ce sens, le choix d’une technique narrative constitue la réponse implicite d’un écrivain à un « problème » que soulève sa situation proprement historique. Or le roman français du 20ème siècle a connu de nombreuses révolutions dans la technique narrative. Celles-ci peuvent-elles nous aider à situer les auteurs français face à ce que Camus nommait les « convulsions du siècle » ? Nous tenterons d’examiner cette question à l’appui de deux stratégies narratives spécifiques: celle de Camus lui-même dans La peste, et celle de Robbe-Grillet dans La jalousie. En effet, nous croyons discerner certaines crises de la conscience occidentale derrière les innovations formelles des deux romans. Dans chaque cas, nous tenterons ensuite d’esquisser comment ces innovations constituent une réplique spécifique à la situation historique dans laquelle l’auteur écrivait. La forme générique de La peste (1947) de Camus est celle d’une « chronique ». Le roman est narré pour la plupart à la troisième personne et la voix narrative en demeure donc presque entièrement abstraite, d’autant plus que le ton en est des plus détachés imaginables. Par moments, cependant, le narrateur assume un certain degré de subjectivité, soit qu’on le sente ironiser, soit qu’il s’auto-désigne en tant qu’auteur (« l’auteur de cette chronique etc… »), soit qu’il parle de l’expérience collective de « nos concitoyens ». Bref, Camus parsème le discours narratif on ne peut plus « distancié » et « objectif » de son roman des traces d’une subjectivité ambiguë, laquelle jure avec le