Macherey querelles cartésiennes
Kant, qui espérait, par la voie de la critique, ramener la paix dans la philosophie, déplorait que l’ensemble de l’histoire passée de celle-ci se fût déroulée comme sur un Kampfplatz, un champ de bataille où, à tous les sens de l’expression, elle étale ses divisions. Effectivement, cette histoire a été jalonnée tout au long de son déroulement par de spectaculaires “querelles” : celle des amis des formes et des amis de la matière du temps de Platon; la querelle des universaux au Moyen-Age; la querelle des Anciens et des Modernes à l’époque classique; le Pantheismusstreit déclenché en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle qui a eu un retentissement en France avec un décalage de plusieurs dizaines d’années sous le nom de querelle du panthéisme; la querelle de la philosophie chrétienne au XXe siècle, pour ne citer que quelques épisodes saillants d’une épopée emplie de bruit et de fureur, où, comme s’il était impossible de discuter sans se disputer ou se chamailler, ne se sont jamais tues longtemps les aigres voix de la discorde et de l’invective. Et, bien sûr, cette ambiance permanente de controverse jette la suspicion sur le caractère rationnel, voire même raisonnable, de l’activité philosophique qui tend naturellement à transformer ses débats en affrontements dont l’allure est davantage politique que scientifique, et privilégie la violence, donc en dernière instance le conflit des volontés, sur la persuasion intellectuelle par voie d’arguments et de démonstrations en règle, pour faire valoir, c’est-à-dire en fait prévaloir, des thèses qui ne semblent ne pouvoir s’affirmer qu’en s’opposant et en cherchant à se détruire réciproquement. Précisons d’ailleurs que ces belliqueuses querelles, même si elles ont pu présenter au moment de leur déclenchement le caractère de bagarres personnelles mettant aux prises des protagonistes individuellement nommés et identifiés, se sont ensuite propagées à des communautés d’opinion élargies, appelées à