SALUT

Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Stéphane Mallarmé Poésies Gallimard page 3

Intitulé primitivement Toast, ce poème fut prononcé à l’occasion du septième banquet de La Plume (que Mallarmé devait présider) le 9 février 1893, et peut se lire effectivement comme un toast de circonstance en l’honneur de quelques confrères.
Mais le changement de titre et sa position en début du recueil (C’est la pièce que Mallarmé a choisie de présenter comme sonnet liminaire de son édition des poésies complètes. D’autre part, il a voulu expressément qu’elle fût composé en petites italiques à la manière d’une épigraphe) lui donnent une tout autre portée en changeant sa situation d’énonciation, et son destinataire : il ne s’agit plus d’un simple toast mais d’un salut au lecteur, appelé à son tour à l’incertaine navigation de la lecture, et d’une dédicace de l’œuvre entière sous le signe du « Rien » initial et du glorieux mensonge de la poésie.
Il s’agit donc à la fois d’un poème de circonstance et d’un art poétique qui a une dimension programmatique.

Structure du poème : sonnet, ABBA ABBA CCD EDE
Mallarmé respecte strictement cette forme fixe puisque, comme l’indique la ponctuation, chaque quatrain constitue une entité alors que les tercets sont à rapprocher. On distingue ainsi un mouvement d’ensemble qui tend vers la pointe finale et va de la réalité concrète à l’idée :
1er quatrain : circonstances de l’élocution
2nd quatrain : adresse aux confrères tercets : toast à la poésie Le ton du poème reflète le caractère léger et enthousiaste du banquet :