"Moi, un noir", jean rouch
Moi, un noir se pose comme un film marquant de la fin des années cinquante et du cinéma en général ; il remporte, d’ailleurs, le Prix Delluc en 1959. Poursuivant le travail de Robert Flaherty, le père du documentaire, Jean Rouch quitte ici le domaine de l’ethnologie traditionnelle et nous propose un documentaire fictionnel dans lequel il libère la parole africaine : Des personnages locaux racontent, pour la première fois, leur vie quotidienne, étouffante, ivre et fragmentée. Une exploration jamais excessive, qui oriente Rouch, à l’origine ethnographe, vers un « cinéma vérité » qui va à la rencontre du quotidien africain des bidonvilles et sur lequel il improvise une poésie, à la fois ironique et fugitive, chargée de peines, de colères et d’amour. Ce travail explicitera, dans un premier temps, certains points formels du film qui permettront de préciser la valeur documentaire du film et la démarche ethnologique particulière du réalisateur. Puis, nous caractériserons le « montage vertovien » du film et la filiation du cinéaste avec Flaherty. Ensuite, nous aborderons particulièrement le style de filmage singulier, en « caméra mobile ». Et enfin, nous discuterons l’impact de la postsynchronisation, qui, liée à une certaine fiction, aboutit à la création d’un discours « indirect libre » que nous définirons.
Le tout début de Moi, un noir et particulièrement les commentaires vocaux sont significatifs de l’approche ethnologique, avant-gardiste, suivie par Rouch dans son documentaire. Immédiatement, Rouch (la « voix off »), donne la parole aux Africains à travers le personnage joué par Oumarou Ganda (Edward G. Robinson), le narrateur du film : « Edward G. Robinson », « C’est lui le héros du film », dit-t-il, « je lui passe la parole ». Alors Ganda annonce au spectateur un documentaire à la teneur ethnologique : « Nous vous montrerons ce que c’est la vie de Treichville, ce que c’est que Treichville en personne ». Et il poursuit