Monologue de chimène, le cid, corneille
De mes vives douleurs te faire voir l’atteinte ;
Je puis donner passage à mes tristes soupirs ;
Je puis t’ouvrir mon âme et tous mes déplaisirs.
Mon père est mort, Chimène ; et la première épée
Dont s’est armé Rodrigue, a son tissu coupé.
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,
Et m’oblige à venger, après ce coup funeste,
Celle que je n’ai plus sur celle qui me reste.
Et que dois-je espérer qu’un tourment éternel,
Si je poursuis un crime, aimant le criminel !
Ma passion s’oppose à mon ressentiment ;
Dedans mon amant je trouve mon amant ;
Mais en ce dur combat de colère et de flamme,
Il déchire mon cœur sans partager mon âme ;
Et quoi que mon amour ait sur moi de pouvoir,
Je ne consulte pas pour suivre mon devoir :
Je cours sans balancer où mon honneur m’oblige.
Rodrigue m’est bien cher, son intérêt m’afflige ;
Mon cœur prend son parti ; mais, malgré son effort,
Je sais ce que je suis, et que mon père est mort.
Je demande sa tête, et crains de l’obtenir :
Ma mort suivra la sienne, et je veux le punir !
Son sang criera vengeance, et je ne l’aurai pas !
Mon cœur, honteusement surpris par d’autres charmes,
Croira ne lui devoir que d’impuissantes larmes !
Et je pourrai souffrir qu’un amour séducteur
Sous un lâche silence bâillonne mon honneur !
Il y va de ma gloire, il faut que je me venge ;
Et de quoi que nous loue un désir amoureux,
Toute excuse est honteuse aux esprits généreux.
Pour conserver ma gloire et finir mon