Mouloud feraoun
Nouvelle Revue Synergies Canada, N◦6 (2013)
De l’ambiguïté tragique chez Feraoun, écrivain réputé « ethnographique »
Charles BONN
Université Lyon 2
France
Liée au contexte politique qui l’a vue naître dans les années Cinquante, la littérature algérienne est encore trop souvent lue à partir de présupposés anticolonialistes qui sont certes indissociables de son émergence, mais méconnaissent la complexité littéraire de ses textes. Cette dernière développe ainsi, en marge et en contrepoint de cette lecture idéologique, un envers, un autre côté obscur et essentiel qui brouille « le » sens de l’histoire, tant récit fictionnel dans son évidente première trame que grand récit, version téléologique des événements aboutissant au triomphe des valeurs consensuelles de la communauté.
Elle produit des apories, des tensions, des « sens » : soit un « malgré tout » qui oblige à relativiser les lectures idéologiques, et l’univocité qu’elles supposent.
D’ailleurs, c’est ce « malgré tout », précisément, qui donne à ces textes leur polyphonie et, partant, leur valeur littéraire. Sortir l’œuvre trop courte de cet écrivain « fondateur » que figure Mouloud Feraoun, de sa trop fréquente limitation à l’anecdotique, sera le principal objectif de ma démarche1. Si c’est grandement son assassinat qui a installé longtemps cet écrivain instituteur dans son statut de prototype de l’écrivain algérien, il est indéniable que son œuvre participe de la fondation d’une littérature nationale algérienne du fait de sa qualité littéraire, ce qu’une lecture idéologique aura toujours tendance à oublier. Ainsi, la littérarité, définie largement autant comme ensemble de procédés narratifs, discursifs, poétiques, que d’emprunts à un genre (le roman réaliste par exemple) ou encore mise en scène de langages, de voix, de visions du monde à travers une histoire narrée, est bien ce « malgré tout