Nedjma
Jean-Louis JOUBERT
Maître de conférence, Université de Paris - XIII
Dès sa publication, en 1956, en pleine guerre d’Algérie, Nedjma s’est imposé comme le roman fondateur de la littérature algérienne moderne.
Écrit pour l’essentiel avant le 1er novembre 1954, date du déclenchement de l’insurrection, il a été lu comme une somme sur l’Algérie colonisée annonçant sa nécessaire libération. Kateb Yacine (1929-1989) devait souligner lui-même qu’ «il s’agissait à l’époque de montrer en français que l’Algérie n’était pas française».
Mais Nedjma rompait aussi avec la littérature de témoignage direct sur la colonisation. D’ailleurs – fait inhabituel – le roman était précédé d’un «avertissement» attribué aux «éditeurs» qui y relevait des procédés narratifs «parfois déconcertants pour le lecteur européen» et qui, afin d’éviter à ce lecteur de se perdre dans une intrigue qui n’en était pas une, en proposait un résumé.
Les références se sont accumulées pour situer cet objet incongru qu’était donc Nedjma: on l’a rattaché à une filiation faulknérienne, voire à la mouvance du Nouveau Roman; plus habilement, l’«avertissement» des éditeurs y détectait les traces nombreuses de la tradition littéraire arabe.
1. Une construction fragmentée
La construction du roman ne peut en effet que désorienter le lecteur: la chronologie est brouillée, les points de vue narratifs sont multiples, partagés entre celui d’un narrateur extérieur et ceux de quatre personnages principaux dont le roman épouse parfois les flux de conscience. Formellement, celui-ci est divisé en six parties, qui se subdivisent en douze (ou deux fois douze) chapitres ou séquences, plus ou moins brèves, parfois limitées à une demi-page. Ces fragments sont numérotés de I à XII et la numérotation, comme celle des horloges, recommence au début lorsqu’un cycle duodécimal est achevé. Cette construction circulaire est soulignée par le retour littéral de la séquence initiale dans