Paul veyne : comment on écrit l’histoire
Les historiens racontent des intrigues, qui sont comme autant d’itinéraires qu’ils tracent à leur guise à travers le très objectif champ événementiel (lequel est divisible à l’infini et n’est pas composé d’atomes événementiels) ; aucun historien ne décrit la totalité de ce champ, car un itinéraire doit choisir et ne peut passer partout ; aucun de ces itinéraires n’est le vrai, n’est l’Histoire. Enfin, le champ événementiel ne comprend pas des sites qu’on irait visiter et qui s’appelleraient événements : un événement n’est pas un être, mais un croisement d’itinéraires possibles. Considérons l’événement appelé guerre de 1914, ou plutôt situons-nous avec plus de précision : les opérations militaires et l’activité diplomatique ; c’est un itinéraire qui en vaut bien un autre. Nous pouvons aussi voir plus largement et déborder sur les zones avoisinantes : les nécessités militaires ont entraîné une intervention de l’Etat dans la vie économique, suscité des problèmes politiques et constitutionnels, modifié les mœurs, multiplié le nombre des infirmières et des ouvrières et bouleversé la condition de la femme…Nous voilà sur l’itinéraire du féminisme, que nous pouvons suivre plus ou moins loin. Certains itinéraires tournent court (la guerre a eu peu d’influence sur l’évolution de la peinture, sauf erreur) ; le même « fait » qui est cause profonde sur un itinéraire donné, sera incident ou détail sur un autre. Toutes ces liaisons dans le champ événementiel sont parfaitement objectives. Alors, quel sera l’événement appelé guerre de 1914 ? Il sera ce que vous en ferez par l’étendue que vous donnez librement au concept de guerre : les opérations diplomatiques ou militaires, ou une partie plus ou moins grande des itinéraires qui recoupent celui-ci. Si vous voyez assez grand, votre guerre sera même un « fait social total ».
Les événements ne sont pas des choses, des objets consistants, des substances ; ils sont un découpage que nous