Peut-on démontrer qu’une œuvre d’art est belle ?
« Le peintre assis devant sa toile a-t-il jamais peint ce qu’il voit ? » dit Aragon dans l'un de ses poèmes. L’art serait alors une vision déformée du monde, une vision propre avant tout à chacun de nous. La beauté elle-même serait ainsi subjective, chacun verrait dans une œuvre une représentation qui lui correspond, chacun aurait face à une œuvre un sentiment différent. Pouvons-nous alors démontrer qu’une œuvre d’art est belle ? Pouvons-nous lui transmettre objectivement et de façon raisonnée une appréciation aussi subjective que le beau, une appréciation qui ne répond pas à des données scientifiques mais à un ensemble de ressentis ? Quelles en seraient les conséquences pour autrui, qui est à la fois notre égal, notre alter ego, mais aussi et avant tout un autre, une personne différente de moi ? Le problème premier à résoudre serait de savoir s’il est techniquement possible de convaincre autrui de la beauté d’une œuvre d’art, ce qui pousserait à se demander si une telle démarche serait légitimement concevable, et si, enfin, il ne serait pas possible de prendre en compte un avis opposé au mien afin de considérer l’œuvre sous un angle différent.
I] Est-il techniquement possible de convaincre autrui de la beauté d'une oeuvre d'art ?
Convaincre autrui de la beauté d’une œuvre d’art m’obligerait à lui expliquer le beau et son pourquoi de façon raisonnée. Le beau peut-il cependant se nommer ? Si certains artistes suivent des normes très strictes et très académiques, ne dérogent pas à la règle de la perspective en peinture et s’emploient à écrire des poèmes en alexandrins et à ne traiter que des sujets nobles selon les codes du classicisme, nombreux sont ceux qui se sont affranchis de ces contraintes, à l’exemple des impressionnistes, des surréalistes qui prônaient l’écriture automatique et de poètes tels que Francis Ponge qui, en décrivant « un parallélépipédique sac de toile dans lequel sont contenues des milliers de plumes » donnait