Peut-on désirer sans souffrir ?

Quelle thèse soutiendrons-nous ? Nous soutiendrons que le désir s'accomplit dans la vie créatrice et que cette vie créatrice s'éprouve comme joie. Nous soutiendrons donc que le désir n'est pas essentiellement souffrance. Mais nous montrerons que lorsque le sujet s'illusionne sur l'enjeu du désir il se leurre en imaginant que la possession d'un objet, quelle qu'en soit la nature, pourrait le rendre heureux. Nous commencerons par examiner et discuter cette dernière thèse. Nous soutiendrons ensuite la seconde. Et enfin nous essaierons de comprendre pourquoi la thèse selon laquelle le désir est manque et donc cause de souffrance est si courante.

Dans le dialogue de Platon intitulé Le banquet Aristophane raconte le mythe de l'androgyne primitif. Ce mythe met en scène une certaine conception du désir. Cette conception donne à penser que le désir serait essentiellement manque. L'homme serait en manque de la moitié à laquelle il était uni à l'origine. L'homme chercherait donc naturellement à s'unir à un autre être humain pour retrouver cette unité perdue. Cette unité est désirable au sens ou elle permettrait aux hommes d'approcher la condition des dieux qui eux ne manquent de rien. Ce mythe donne à penser que si l'homme est désirant c'est parce que son être n'est pas parfait, parce qu'il ne forme pas une totalité sans faille, et que l'union à un autre être humain permettrait de s'approcher de cette perfection de l'être originaire dont nous aurions la nostalgie. Il donne à penser que l'être est une totalité une, une substance. Ce mythe de Platon semble accréditer l'idée que le désir est nécessairement souffrance puisqu'il est manque et que ce manque, et donc cette souffrance, ne pourrait s'éteindre que dans l'union avec un autre être humain. Mais le poète Rainer Maria Rilke, dans une lettre, qualifie cette manière de concevoir le désir de faible. Il affirme qu'il lui arrive de plus en plus souvent de penser que le désir n'a rien