Peut on penser l'art sans référence aux beau
Les philosophies antiques ou modernes conduisent à des thèses le plus souvent aporétiques en matière esthétique. Ou leur radicalité tend à exclure l’art de la cité antique, par exemple, ou leur modération les entraîne à ne voir en lui qu’un moyen en vues de fins précises et diversifiées, suivant les individus, les sociétés, les systèmes de valeurs envisagées . Considérer l’art en soi est-il si difficile qu’à l’usage cela se révèle impossible, contradictoire voire impraticable ?
Que penser alors de la tentative nietzschéenne, désireuse de transformer, de métamorphoser la philosophie en art, de la soumettre au seul impératif qui vaille, celui de la création ?
La notion de « Médecin de la civilisation » considérée ainsi par l’auteur du « Livre du philosophe » 1. II, p. 155 double le philosophe de l’esthète, du poète, de l’inspiré qui transfigure l’être en Verbe. Aussi, écrit-il à la p.120 d’Ecce Homo « Tout Etre veut devenir Verbe, tout devenir veut apprendre de toi à parler ». Créateur de forme langagières tissées dans la métaphore plus que dans le concept (ibid., 1. III, ‘Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge extra-moral »), dans la vision intuitive plus que démonstrative, le penseur est d’abord un voyant. Son art du dire, de la révélation , du dévoilement du sens, s’abreuve tout entier à sa puissance de renouvellement, et à sa volonté de capter la parole de la vie, d’entendre puis de propager le message dionysiaque. Zarathoustra, héraut du surhumain, « démon dionysiaque »s’adresse à ses pairs, au fil de Naissance de la tragédie, dans l’accablante mais exaltante solitude des « moissonneurs », des « créateurs » : « C’est au solitaire que je dirais mon chant, à ceux qui se sont retirés seuls ou a deux dans la solitude, et quiconque à encore des oreilles pour entendre de l’inouï, j’accablerais son cœur de tout le poids de mon bonheur » tels sont les propos du prologue de Zarathoustra. On mesure