Phèdre
Les personnages en présence à l’ouverture de la pièce n’existent pas, à proprement parler, pour eux-mêmes : ils ne sont et ne se pensent les uns les autres qu’à travers leur parenté, fratrie ou ascendance.
1) Hippolyte ou la parenté mortelle
Hippolyte n’a pas de statut autonome : ce qui détermine son action (le départ) et sa position amoureuse impossible (Aricie), c’est son père, qui constitue le véritable objet de l’échange avec Théramène.
Il est le fils de Thésée et d’Antiope, sœur d’Hippolytè reine des Amazones. Cette parenté le place dans une situation impossible. Il est le descendant d’une femme dont il a hérité une surféminité qui ne saurait lui garantir le statut d’homme (le cœur si fier, si dédaigneux v. 67 ; l’implacable ennemi des amoureuses lois v. 59), et d’un père qui lui ferme symboliquement les portes de la virilité, à un double titre :
– Thésée est un héros, émule d’Héraklès (cf. allusion à Alcide, autre nom d’Héraklès, au v. 78), un homme au dessus du commun des mortels, qui a assuré l’ordre et la loi dans toute le Grèce, triomphant des brigands (Périphétès d’Epidaure, Sinis à Corinthe, Procuste à Erinéos), imposant sa force (contre le roi Cercyon à Eleusis), triomphant du Minotaure (v. 80 à 82). Si Hippolyte veut partir comme il l’a annoncé à l’entrée de la pièce, c’est pour retrouver son père et se mettre en situation de faire ses preuves, de se trouver lui-même et d’accéder à son tour au statut de héros : vaincre des monstres lui aussi, et incidemment acquérir « le droit de faillir comme lui » 39–.
– D’autre part, et peut être surtout, Thésée est un « homme à femmes », un séducteur, qui confirme et enferme Hippolyte dans ce que l’on est en droit d’appeler son refoulement : de la belle geste de Thésée, Hippolyte ne veut garder qu’une moitié, celle qui concerne la victoire sur les monstres et les brigands, et veut oblitérer, censurer la geste des amours, moins glorieuse, indigne