Poemeues
C'est un trou de verdure où chante une rivière,Accrochant follement aux herbes des haillonsD'argent ; où le soleil, de la montagne fière,Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme :Nature, berce-le chaudement : il a froid.Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Rimbaud Arthur
Le mort joyeux.Recueil: Les fleurs du mal.Dans une terre grasse et pleine d'escargotsJe veux creuser moi-même une fosse profonde,Où je puisse à loisir étaler mes vieux osEt dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde,Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;Plutôt que d'implorer une larme du monde,Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeauxA saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;Philosophes viveurs, fils de la pourriture,A travers ma ruine allez donc sans remords,Et dites-moi s'il est encore quelque torturePour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !Charles Baudelaire
Je serai triste comme un sauleQuand le Dieu qui partout me suitMe dira, la main sur l'épaule"Va-t'en voir là-haut si j'y suis"Alors, du ciel et de la terreIl me faudra faire mon deuilEst-il encor debout le chêneOu le sapin de mon cercueilS'il faut aller au cimetièreJ'prendrai le chemin le plus longJ'ferai la tombe buissonnièreJ'quitterai la vie à reculonsTant pis si les croqu'-morts me grondentTant pis s'ils me croient fou à lierJe veux partir pour l'autre mondePar le chemin des écoliersAvant d'aller conter fleuretteAux belles âmes des damnéesJe rêv' d'encore une amouretteJe rêv' d'encor