Ronsard, les amours, 1552, « elégie à cassandre » (extrait)
Mon œil, mon cœur, ma Cassandre, ma vie,
Hé ! Qu’à bon droit tu dois porter d’envie
A ce grand Roi qui ne veut plus souffrir
Qu’à mes chansons ton nom vienne s’offrir.
C’est lui qui veut qu’en trompette j’échange
Mon luth, afin d’entonner sa louange,
Non de lui seul mais de tous ses aïeux,
Qui sont là-haut assis au rang des Dieux.
Je le ferai puisqu’il me le commande,
Car d’un tel Roi la puissance est si grande,
Que tant s’en faut qu’on la puisse éviter,
D’un camp armé n’y pourrait résister.
Mais que me sert d’avoir tant lu Tibulle,
Properce, Ovide, et le docte Catulle,
Avoir tant vu Pétrarque et tant noté,
Si par un roi le pouvoir m’est ôté
De les ensuivre, et s’il faut que ma lyre
Pendue au croc ne m’ose plus rien dire ?
Doncques en vain je me paissais d’espoir
De faire un jour à la Toscane voir
Que notre France, autant qu’elle, est heureuse
A soupirer une plainte amoureuse ;
Et pour montrer qu’on la peut surpasser,
J’avais déjà commencé de tracer
Mainte Elégies à la façon antique,
Mainte belle Ode, et mainte Bucolique. […]
Que pleures-tu, Cassandre, ma douce âme ?
Encor Amour ne veut couper la trame
Qu’en ta faveur je pendis au métier,
Sans achever l’ouvrage tout entier.
Mon roi n’a pas d’une bête sauvage
Sucé le lait, et son jeune courage,
Ou je me trompe, a senti quelquefois
Le trait d’Amour qui surmonte les Rois
S’il l’a senti, ma coulpe est effacée,
Et sa grandeur ne sera courroucée,
Qu’à mon retour des horribles combats,
Hors de son croc mon Luth j’aveigne à-bas,
Le pincetant, et qu’en lieu des alarmes
Je chante Amour, tes beautés et mes