Théâtre de l'absurde - le tragique de la modernité
Ionesco revendique pour ses pièces l’appellation de « farces tragiques » et, à propos de Beckett, il écrit : « Beckett est essentiellement tragique, tragique parce que, justement, chez lui, la totalité de la condition humaine qui entre en jeu et non pas l’homme de telle ou telle société, ni l’homme vu à travers et aliéné par une certaine idéologie. » Or cette totalité de la condition humaine est précisément ce qui est le moins perceptible dans une société comme la nôtre ; et s’il est vrai qu’« il n’y a pas de théâtre sans un secret qui se révèle », comme dit Ionesco, ce secret est celui-là même que la tragédie grecque produisait devant les spectateurs : l’homme souffre au sein du bonheur, l’homme chute au sein de la grandeur, l’homme meurt au sein de la vie … Et ceci doit être dévoilé avec plus de violence dans une société qui s’efforce d’escamoter la souffrance, la faute et la mort.
Cependant, pour que ce secret apparaisse de façon tragique, et non point comique, il faut qu’intervienne une dimension métaphysique. La difficulté de faire aujourd’hui du comique de mœurs ou de caractère renvoie le théâtre à une interrogation essentielle, qu’il avait longtemps négligée. Ce qui importe au tragique n’est pas que des hommes soient malheureux au milieu d’une société qui fait du bonheur son dogme, mais la raison et la signification de cet intolérable contraste. Pour que le tragique se manifeste, il faut que, d’une manière ou d’une autre, la transcendance soit concernée. Il faut un dispositif métaphysique double le dispositif humain, et qu’une épuration se produise, qui amorce la transfiguration caractéristique de la tragédie. C’est pourquoi Ionesco, malgré d’incontestables accents tragiques (en particulier dans Le roi se meurt, dans Rhinocéros et aussi dans Les Chaises), reste un auteur comique : la farce, dans sa rigidité mécanique ou dans sa virtuosité baroque, rabat l’émotion tragique dès qu’elle commence à se lever.
En revanche, le