A
Alexandra Sippel,
Doctorante sous la direction de M. Jacques Carré.
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
Introduction.
L’utopie en tant que genre littéraire célébrant les institutions parfaites d’un lieu secret et inaccessible apparaît tout juste vingt années après la découverte des Amériques par Christophe Colomb : c’est en 1516 que Thomas More fait paraître en latin son Utopiai - comme si, après 1492, il fallait se réfugier dans la littérature pour trouver un monde vraiment hors de portée des navigateurs européens, avides de commercer avec toutes les régions du monde, d’en exploiter les richesses, et d’y vendre leurs propres produits – avant d’y étendre leur empire.
Le genre utopique s’enracine par ailleurs profondément dans la tradition humaniste, elle-même largement héritière de l’Antiquité : le modèle de Sparte, sous la stricte férule de Lycurgue, rappelait que la virtus d’un peuple trouvait sa source dans le courage et la tempérance, ce qui interdisait toute accumulation de biens de consommation superflus et, par voie de conséquence, leur échange mercantile à but lucratif. Les humanistes, dont Thomas More et son grand ami Erasme étaient deux figures essentielles, ont repris à leur compte ces idéaux ascétiques : dans l’Utopia déjà, l’opposition au luxe et au commerce corrupteur apparaît, comme une mise en musique de la rhétorique érasmienne déployée dans l’Eloge de la Folie de 1509 où l’humaniste de Rotterdam confie à la Folie le rôle d’apologue du luxe et des marchands dont l’objectif est d’accumuler des fortunes purement financières. L’influence d’Erasme sur l’intérêt renouvelé à la Renaissance pour l’art rhétorique se manifeste dans les exercices prescrits aux élèves sous l’ère élisabéthaine : faire parler la Folie pour faire l’éloge des vices était constituait un exercice récurrent de rhétorique.
A mesure que l’emprise des