L'espéce humaine
Robert Antelme résume la double difficulté à laquelle se heurte son discours de survivant : celle d’exprimer une expérience tellement chargée émotionnellement qu’elle lui coupe littéralement le souffle ; celle de transmettre au public quelque chose qui est tellement en-dehors de la norme, que sa plausibilité lui paraît problématique. Il ne s’agit donc pas seulement de dire l’indicible, mais aussi du souci de communiquer avec celui qui n’a pas connu l’univers concentrationnaire. C’est en vue de rendre un réel à la fois existant et invraisemblable, effectivement vécu et inimaginable, c’est pour suggérer une souffrance et une monstruosité qui ne peuvent se transmettre, que Robert Antelme use d’un style nu fait de raccourcis et de juxtapositions. « Leur fureur était leur lucidité ; notre horreur, notre stupeur étaient la nôtre. » La syntaxe est réduite à sa plus simple expression, dépouillée de subordonnées et axée sur la juxtaposition. L’alternance, du on, du nous et du je, sert à prouver que tous les détenus subissent le même sort. Plus qu’à la dépersonnalisation, le système concentrationnaire vise à la déshumanisation. Si le témoin a droit a la parole, ce n’est pas seulement parce qu’il a vécu dans son corps et son esprit la condition des