L'ombre de massambalo, chapitre xiii, fin
« Les hommes du camion... », se murmura-t-il à lui-même. Il pensait que ce camion qui l'avait renversé transportait probablement des émigrants. Il avait été écrasé par un de ces milliers de camions qui partent à l'assaut de la citadelle. Cela lui plaisait. « Approchez », dit-il doucement. Il ne savait pas si des hommes effectivement l'entendaient ou s'il n'était entouré que de visions, mais il appela. « Approchez . Sa supplique montait fragilement de son corps fracassé. « Ne perdez pas de temps, leur dit-il. Laissez moi ici. Cela n'a pas d'importance. » Il se sentait traversé de mille sursauts. Il parlait à la terre et aux peuples en souffrance. Il parlait pour laisser à la poussière quelques mots en héritage. Il voulait que sa voix court le long des routes et des sentiers. L'Eldorado était là. Il ne fallait pas tarder. Son corps resterait sur le bord de la route, comme la carcasse d'une vache que le vent caresse jusqu'à l'éparpillement. C'était juste. Que les camions roulent dans la nuit. Il ne fallait pas renoncer au voyage. L'Eldorado. Il avait ce mot sur les lèvres. Il convoquait la foule des visions qui l'assaillaient et il parla avec une volonté qu'il ne s'était plus connue depuis des années. Il leur dit de partir, sans attendre, à l'assaut des frontières. De tenter leurs chances avec rage et obstination. Que des terres lointaines les attendaient. Oui, c'est cela qu'il murmura à la poussière. Que l'Eldorado était là. Et qu'il n'était pas de mer que l'homme ne puisse traverser.
Puis il mourut.
Le bruit d'un camion qui démarrait fit trembler l'obscurité, emportant avec lui des hommes qui