L'utile est-il beau?
D
ans le riche et parfois difficile dialogue qui s’établit entre le bibliothécaire et l’architecte intervient toujours la récurrente question de la fonctionnalité.
Au bibliothécaire la réflexion sourcilleuse sur l’usage futur d’un espace dans lequel, bien inconsciemment, il transpose parfois le vécu de pratiques actuelles. À l’architecte le souci de signifier une complexe richesse d’activités et de représentations symboliques. Le débat n’est pas ici manichéen, et si les bibliothécaires savent être sensibles à la cohérence novatrice d’une architecture, les architectes ne sont pas étrangers à la question de l’utilité, dont les impératifs nourrissent leur pensée. Les bibliothécaires réclament de l’utile qui soit également beau. Mais le mariage entre le beau et l’utile ne se crée pas par juxtaposition. Et si le beau s’établit sans référence à l’utilité, la question inverse a pu être posée : l’utile est-il le beau? L’histoire de l’architecture est riche d’enseignements sur cette question.
Hormis ses lignes pures, ses volumes géométriques affirmés et sa célébration des nouveaux matériaux industriels, célébration sous-tendue par l’idée que la construction n’est plus un art mais une science, l’architecture moderne a semblé – avant tout – revendiquer le fait d’être fonctionnelle.Il revient à l’architecte américain,Louis Sullivan,d’être considéré comme le fondateur de ce courant fonctionnaliste moderne du fait de son fameux aphorisme « Form follows function »1, soit « la forme découle de la fonction ». Fort de cette formule, le fonctionnalisme est devenu l’aspect le plus réducteur et le plus schématique du rationalisme architectural, un mouvement profond qui, depuis le XVIIIe siècle, s’oppose à l’architecture traditionnelle en revendiquant une approche non tant stylistique que raisonnée, au sein de laquelle la problématique de l’usage n’est qu’une des considérations débattues.
Marc Bédarida
École d’architecture Paris-La Villette