4. Le symbole de la génération post-napoléonienne

La Révolution n’a fait que dissoudre l’ancienne famille française, elle a désorbité les individus, et, en permettant largement l’accès direct de tous à toutes les professions et à toutes les charges de l’État, si hautes qu’elles soient, elle a institué une sorte de concours permanent de toutes les ambitions[1].

a. L’exemple de Napoléon
L’exemple de Napoléon, synthèse vivante de cet arrivisme sans frein, constitue, à lui seul, une manière d’hypnose qui agit sur toute cette jeunesse. « Arriver ! » Le mot n’a pas encore acquis toute la puissance qu’il prendra un demi-siècle plus tard, mais déjà, le poison est dans les veines de tous, il fait son chemin dans le sang, il afflue au cerveau, il fait battre plus fort ces cœurs de vingt ans, il apporte dans ces organismes frêles un trouble profond et une sorte de fièvre intermittente dont ils ne guériront jamais[2]. Napoléon est véritablement le catalyseur de cette jeunesse ambitieuse que représente Eugène de Rastignac. D’après Félicien Marceau, les lions (à prendre au sens d’animal carnassier aux détentes redoutables, cherchant sans cesse qui dévorer) de Balzac sont les frères cadets de ces colonels de trente ans qui, derrière Napoléon, ont dérangé toute l’Europe. Napoléon a disparu mais il a laissé un grand rêve brutal. Il a appris à la jeunesse que tout lui était dû, que tout lui était possible[3]. L’importance que l’on peut accorder à Napoléon s’explique également par l’admiration que Balzac lui vouait. Napoléon était pour lui la volonté humaine divinisée. Ce que Napoléon a été dans le monde de la puissance physique, Balzac a voulu l’être dans le royaume de l’esprit. On sait que la petite statuette de Napoléon, qu’il avait dans son cabinet de travail, portait cette inscription : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume. » On comprend dès lors que Napoléon soit le modèle de Rastignac. Une poussée démesurée de l’ambition et de la passion de