L’ambiguïté de la décolonisation et le travail de mémoire
(avec un supplément multimédia en ligne)*
Manfred Overmann
I. Introduction
La colonisation est caractéristique du 19ème siècle, la décolonisation du 20ème siècle. Culturellement, la France est le pays du cartésianisme, de la laïcité et le berceau du Siècle des Lumières qui a influencé les révolutions américaine puis française et a promulgué les droits de l’homme. Mais pendant des siècles la France a aussi été un pays colonisateur qui a soutenu l’esclavage et l’oppression des peuples. Actuellement la colonisation et la décolonisation font objet d’une intense guerre de mémoires et toutes les couleurs politiques confondues proposent de commémorer, de célébrer, de façon positive ou négative, des événements, des héros ou des victimes. Ces dénonciations manichéennes par les activistes de la mémoire sont souvent le fruit de tel ou tel groupe qui veut promouvoir une mémoire particulière sans que la pluralité des faits historiques, souvent complexes, soient clarifiés, et sans s’occuper du camp adverse. Pour l’historien il s’agit souvent de manipulations actuelles de mémoires traumatisées, qu’il s’agisse de celles des anciens colonisés comme de celle des anciens colonisateurs.
Même à l’intérieur de la gauche qui de nos jours se donne volontiers comme anticolonisaliste par essence, les tendances sont ambiguës, voire contradictoires. La définition de la « colonisation » et de « coloniser » dans l’édition 2007 du Petit Robert qui n’a pas changé depuis 40 ans - « coloniser un pays pour le mettre en valeur » - ne fait que verser de l’huile sur le feu surtout si on l'associe à l’esprit de la loi du 23 février 2005 sur le « rôle positif » de la colonisation, combattu récemment dans un livre édité par Claude Liauzu et Gilles Manceron (2006).1 L’association « Survie » engagée contre le néocolonialisme français en Afrique a également dénoncé la persistance d’imaginaires positifs de la colonisation au sein de