Anthologie poétique
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle !"
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serais sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard (1524-1585), Sonnets pour Hélène (1578), II, 24
LA SEINE A RENCONTRÉ PARIS
Qui est là toujours là dans la ville et qui pourtant sans cesse arrive et qui pourtant sans cesse s'en va
C'est un fleuve répond un enfant un devineur de devinettes.
Et puis l'œil brillant il ajoute et le fleuve s'appelle la Seine quand la ville s'appelle Paris et la Seine c'est comme une personne des fois elle court elle va très vite elle presse le pas quand tombe le soir des fois au printemps elle s'arrête et vous regarde comme un miroir.
Et elle pleure si vous pleurez ou sourit pour vous consoler et toujours elle éclate de rire quand arrive le soleil d'été...
Jacques Prévert (1900-1977), Choses et autres (1972)
Mystique
Sur la pente du talus les anges tournent leurs robes de laine dans les herbages d'acier et d'émeraude. Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon. À gauche le terreau de l'arête est piétiné par tous les homicides et toutes les batailles, et tous les bruits désastreux filent leur courbe. Derrière l'arête de droite la ligne des orients, des progrès.Et tandis que la bande en haut du tableau est formée de la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines.La douceur fleurie des étoiles et du