Anthologie regret
Un reflux de désirs, du plus profond des terres.
Remonte en moi, flot trouble et de boue épaissi.
Il recouvre cette âme asservie au mystère.
Asservie à la chair, et qui n'a pas choisi.
Orgueilleux front qui ne fut pas taché de cendre.
Poitrine que jamais haire ne déchira.
Corps heureux, corps tremblant qui n'osa pas descendre
Dans l'abîme qu'ouvrait l'enserrement des bras...
A cette sage chair qui ne fut jamais folle,
Rien ne reste — rien ! rien ! que l'instant infini
Où, me brûlant au feu de ton corps endormi.
Je regardais contre ma bouche ton épaule.
François Mauriac (1885-1970)
Les regrets
Pourquoi ne me rendez-vous pas
Les doux instants de ma jeunesse ?
Dieux puissants ! ramenez la course enchanteresse
De ce temps qui s'enfuit dans la nuit du trépas !
Mais quelle ambition frivole !
Ah ! dieux ! si mes désirs pouvaient être entendus,
Rendez-moi donc aussi le plaisir qui s'envole
Et les amis que j'ai perdus !
Campagne d'Arpajon ! solitude riante
Où l'Orge fait couler son onde transparente !
Les vers que ma main a gravés
Sur tes saules chéris ne sont-ils plus encore ?
Le temps les a-t-il enlevés
Comme les jeux de mon aurore ?
Ô désert ! confident des plus tendres amours !
Depuis que j'ai quitté ta retraite fleurie,
Que d'orages cruels ont tourmenté mes jours !
Ton ruisseau dont le bruit flattait ma rêverie,
Plus fidèle que moi, sur la même prairie,
Suit constamment le même cours :
Ton bosquet porte encore une cime touffue
Et depuis dix printemps, ma couronne a vieilli,
Et dans les régions de l'éternel oubli
Ma jeune amante est descendue.
Quand irai-je revoir ce fortuné vallon
Qu'elle embellissait de ses charmes ?
Quand pourrai-je sur le gazon
Répandre mes dernières larmes ?
D'une tremblante main, j'écrirai dans ces lieux
" C'est ici que je fus heureux ! "
Amour, fortune, renommée,
Tes bienfaits ne me tentent plus ;
La moitié de ma vie est déjà consumée,
Et les projets que j'ai