L'artiste répondra par l'affirmative : l'art a pour but de nous faire oublier la médiocrité parfois insupportable du quotidien. Le philosophe nous répondra aussi certainement par la négative : loin de nous plonger dans un monde d'illusions, l'art nous fait accéder à une réalité plus « vraie », plus « essentielle», plus ... « réelle ». S'il est douteux que Zola ou Eluard aient voulu divertir leurs lecteurs de la cruauté du réel, on peut encore plus facilement porter le doute sur cette réalité à laquelle l'art nous donnerait accès. Soit une chose est, soit elle n'est pas. Si elle est, elle appartient à la réalité ; si elle n'est pas, elle n'appartient pas à la réalité. Comment une réalité pourrait-elle être plus vraie qu'une autre ? Vers quoi l'art permettrait-il de s'évader, si ce n'est vers quelque chose de réel et qui existe bel et bien ? Il convient donc d'éclaircir, sinon le sens, du moins l'usage du concept de réalité. L'art nous donne l'occasion de le faire. En effet, si l'artiste peut forger toute les chimères qu'il peut et que jamais je ne rencontrerai dans la vie quotidienne, il n'en demeure pas moins que ces chimères existent : je n'ai jamais croisé de licorne, et pourtant j'ai une idée très précise de ce qu'est une licorne. De quelle réalité l'art est-il évasion ? Et s'il est véritablement évasion, permet-il d'accéder à autre chose qu'à la réalité