Article leopold
SENGHOR Léopold Sédar
Article
Thèmes: Francophonie; Décolonisation; Langue
C'était en 1937. J'enseignais, alors, le français – avec les langues classiques – depuis deux ans, au lycée Descartes de Tours. Venu passer les grandes vacances dans mon Sénégal natal, je fus sollicité de donner une conférence. J'avais choisi, comme thème, Le Problème culture en AOF. La foule des évolués, blancs et noirs mêlés, s'écrasait dans la grande salle de la Chambre de commerce de Dakar. On s'attendait à m'entendre exalter la culture gréco-latine, du moins la culture française. Devant le Gouverneur général ébahi, je fis une charge vigoureuse contre l'assimilation et exaltai la Négritude, préconisant le « retour aux sources » : aux langues négro-africaines. Ce fut un succès de scandale, plus, au demeurant, chez les Africains que chez les Européens. « Maintenant qu'il a appris le latin et le grec, murmuraient ceux-là, il veut nous ramener au wolof. »
Malgré l'indépendance politique – ou l'autonomie – proclamée, depuis deux ans, dans tous les anciens « territoires d'outre-mer », malgré la faveur dont jouit la Négritude dans les États francophones au sud du Sahara, le français n'y a rien perdu de son prestige. Il a été, partout, proclamé langue officielle de l'État et son rayonnement ne fait que s'étendre, même au Mali, même en Guinée. Il y a mieux : après le Ghana, qui, pourtant, n'est pas tendre pour la France, les États anglophones, l'un après l'autre, introduisent le français dans leur enseignement du second degré, allant, parfois, jusqu'à le rendre obligatoire.
Comment expliquer cette faveur, cette ferveur, singulièrement cette dissociation de la politique et de la culture françaises ? C'est l'objet de mon propos.
Je ferai une première remarque. Cette dissociation est plus apparente que réelle. La décolonisation, poursuivie avec constance par le Général de Gaulle, achevée avec éclat en Algérie, n'a pas été pour rien dans cette faveur. En