Beckett et bilinguisme
Nadia Louar
La parole est irréversible, telle est sa fatalité. Ce qui a été dit ne peut se reprendre, sauf à s’augmenter : corriger, c’est, ici, bizarrement, ajouter. En parlant, je ne puis jamais gommer, effacer, annuler ; tout ce que je puis faire, c’est de dire « j’annule, j’efface, je rectifie », bref de parler encore1.
Un des traits les plus remarquables de la personnalité littéraire de Samuel Beckett concerne son choix, après la guerre, de poursuivre sa carrière littéraire en français. Le projet énoncé en 1932 dans son premier roman, Dream of Fair to Middling Women, prend forme en 1946 lorsque l’auteur irlandais écrit un roman et deux nouvelles directement en français, Le voyage de Mercier et Camier autour du pot dans les bosquets de Bondy, Le Calmant et La Fin. Dès 1937, lorsqu’il s’installe à Paris, Beckett commence à écrire des poèmes en français. Il continue dans cette langue et compose sa trilogie narrative, Molloy, Malone Meurt et L’innommable (1951-1953). Lorsqu’il traduit et publie la trilogie en anglais dans les années cinquante (1950-1957), on commence à parler d’une œuvre bilingue. De 1945 à 1989, date de sa mort, Beckett écrit tantôt en français tantôt en anglais et à partir des années soixante il traduit
Nadia Louar a soutenu son doctorat en Lettres Modernes à l’Université de Californie, Berkeley. Elle est aujourd’hui professeure de littérature française à l’Université de Wisconsin-Oshkosh. Son champ de recherche inclut la littérature francophone moderne et contemporaine, le théâtre moderne, les études beckettiennes et la traduction. Son manuscrit, La poétique du bilinguisme dans l’œuvre de Samuel Beckett est en cours de révision. Ses récentes publications traitent de diverses questions théoriques critiques telles que la problématique du genre/gender (Jean Genet, Jean Sénac), le spectacle de la transgression (Virginie Despentes, Jonathan Littell) et l’influence que les thèses sociologiques